Les grilles mobiles de Karl Gerstner

À la différence d’autres pays d’Europe comme la France, L’Allemagne ou les Pays-Bas, la Suisse n’a pas connu de rupture dans son histoire, que ce soit politiquement, économiquement, culturellement… Cette neutralité pendant les deux guerres mondiales ont permis à la Suisse de ne jamais interrompre sa pratique professionnelle, en passant les « étapes » vers le progrès en toute fluidité et sans ralentissement. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que la Suisse va connaître un essor international en matière de graphisme et de typographie. La pratique dominante est influencée notamment par l’Allemagne et ses courants influents, comme le Bauhaus ou le constructivisme, qui seront largement diffusés. Entre 1950 et 1960, on parle à l’étranger d’un « style suisse ». Ce style se caractérise par une esthétique réduite à l’essentiel, l’emploi de photographies et de symboles graphiques, une sobre utilisation de la couleur, des caractères typographiques sans sérif et une composition en asymétrie. Ce graphisme rigoureux va introduire un système de grille pour la mise en page, premièrement expérimenté et mis en œuvre par le designer suisse Max Bill. Cette utilisation d’une grille va devenir une caractéristique propre au « style suisse », avec une recherche absolue de lisibilité et de structuration, sans quelconque élément pouvant être ornemental. Karl Gerstner est l’un des premiers à exploiter une grille pour créer des variations complexes et modulaires.

Karl Gerstner est un pionnier de la typographie suisse. Né en 1930 à Bâle,
il est designer graphique, publicitaire et typographe. Il est considéré par la Bibliothèque nationale suisse comme étant « l’un des plus importants innovateurs en typographie, en art commercial et en design d’entreprise ».
À l’époque où l’ordinateur est réservé aux militaires et aux scientifiques, il est l’un des premiers designers à en expérimenter les possibilités. Il tire parti des capacités de calcul de ce dernier pour concevoir des solutions de design. La rigidité d’une telle pratique permet d’une certaine manière de donner une nouvelle crédibilité à la profession, les entreprises commerciales voulant opter pour une communication visuelle efficace, concrète et précise.

En 1962, le journaliste Adolf Theobald confia à Karl Gerstner la conception du magazine Capital. L’ambition du magazine est de rendre l’économie accessible à quelconque. Pour plaire à ce grand public, Gerstner veut concevoir des visuels ordonnés, limpides et visuellement attractifs. Pour cela, ses grilles entrent en jeu. Il crée pour Capital un carré divisé en 58 lignes et colonnes, la taille de chacune se basant sur une mesure de 10 points. Avec une gouttière de deux modules, la zone utile de la page peut être divisée en une, deux, trois, quatre, cinq ou six colonnes, créant ainsi des carrés de taille variable et différente, les résultats étant toujours entiers. Cela peut paraître complexe mais permet en réalité une flexibilité pour la conception, presque inépuisable. La grille a permis à Gerstner de concevoir des mises en pages fascinantes et variées, qui semblent toutes liées et cohérentes.

Avec une grille comme programme formel, le graphiste s’impose comme
un technicien, précis et exigeant, mettant la science au service de la conception. Un seul maître-mot : la rigueur.

“I see graphic design as a matter of solving problems ;
art as a matter of inventing them.”
Rigueur : maître-mot de la création
3480 caractères — 12/12/2021
n°1_Quand le schéma se répète
n°2_"L’auberge Ganne" and the impressionism's birth
n°3_D'un bout à l'autre de l'objectif
Karl Gerstner, Grille Capital magazine, 1962
n°4_America: a single-mandate mook
n°5_« Trop c’est trop ? »
n°7_Le poids des feuilles volantes et des plateaux suspendus
n°8_Morgan Spurlock vs McDonald’s and co : round 2
n°6_A still life and a rock album: the meeting
n°9_Les Livres illisibles : communiquer sans les mots
n°10_Irma Boom and the Renaissance of the book
n°11_Rigueur : maître-mot de la création
Karl Gerstner, Capital, n°1, 1962
n°12_A Clockwork Orange just needed that
n°13_Don’t look up : l’écologie a dépassé les limites
n°14_Instinct & book design
n°15_Un débordement sans débordement 
n°16_Newspaper design : Between efficiency and uniqueness