Netflix débarque bruyamment à Cannes avec Okja

Nous sommes le 19 mai 2017, à Cannes. Depuis plusieurs semaines déjà, le nouveau film du réalisateur coréen Bong Joon-ho fait beaucoup parler.
Il s’avère que le film, en course pour la Palme d’Or, sera distribué sur la plateforme de streaming Netflix, et ne sortira pas dans les salles françaises. Pour le 70e Festival de Cannes, jour 3 : un problème technique survient lors de la diffusion de Okja. La salle s’agite et s’impatiente. Le film est relancé,
et le logo Netflix apparaît. La salle siffle de mécontentement. Vous l’aurez compris, le public considère l’expérience sur grand écran primordiale et n’est pas emballé par l’idée de voir s’afficher le logo d’une multinationale américaine de vidéo à la demande qui ne souhaite pas diffuser ce film
dans les salles. C’est d’ailleurs suite à cette polémique que les organisateur·trice·s du festival ont modifié leur règlement : à partir
de 2018, tout film en compétition devra sortir en salle.

Okja raconte l’histoire de Mija, une jeune coréenne vivant dans les montagnes avec son grand-père et son meilleur ami Okja, un cochon géant génétiquement modifié, au comportement similaire au chien. Okja leur a été confié il y a dix ans par Mirando, une multinationale d’agro-alimentaire, dans le cadre d’un programme d’élevage visant à élever 26 de ces spécimens dans des régions différentes du monde, selon les traditions locales. Le but étant d’élire le plus beau « cochon » au terme de ces dix années. Prétendant être soucieuse de l’environnement, la multinationale vient en réalité de créer, dans Okja, une espèce d’élevage idéale qui produit de la viande en grande quantité, qui se nourrit peu et qui produit peu de déchets. L’histoire porte de manière générale sur les dérives de l’élevage intensif et sur la recherche constante de l’industrie agro-alimentaire à produire toujours plus de viande, à moindre coût, au péril du bien être animal et de la survie de nôtre planète. Comme Bong Joon-ho nous l’a déjà prouvé — comme dans The Host avec l’impact de déchets toxiques sur la nature amenant la création d’un monstre — le réalisateur utilise une part d’imaginaire pour faire passer un message plus profond.




















La première partie du film est assez contemplative, enfantine, colorée,
où l’on voit le quotidien tranquille et joyeux de Mija avec Okja en Corée.
La deuxième partie change de cap pour Séoul et New York, avec une ambiance plus sombre, des courses poursuites, du stress, une scène de torture… Cette deuxième partie, au contraire de la première, risque de moins plaire aux plus jeunes. C’est un point sur lequel je me suis interrogée : à qui est adressé le film ? Okja est à la fois comique, fantastique, dénonciateur, émouvant, théâtral… Il est à mi-chemin entre
le film d’action et le documentaire dénonciateur, en alliant militantisme et 7ème art. Le film dénonce à la fois la violence sexuelle, la violence animale, l’indifférence des masses, l’écoblanchiment, la production industrielle de masse et j’en oublie. Cette liberté de dénonciation est d’ailleurs possible pour Bong Joon-ho grâce à Netflix, qui lui permet de s’exprimer sans restriction. Mais à qui Okja est-il adressé ? Les adeptes de vidéos à la demande ou le public du Festival de Cannes ? Un·e enfant attiré·e par Okja,
cet attachant animal incrusté en images de synthèse ou au contraire une personne plus séduite par la science-fiction et le film d’action ? Parle t-il aux militant·e·s végans ou cherche t-il à attirer un public curieux sur l’écologie et
le traitement d’un animal en industrie ? Est-ce qu’à vouloir plaire à tout le monde, on ne finit par plaire suffisamment à personne ? Ou au contraire, Okja a-t-il permis de rapprocher un public aux profils variés ? Les avis sont divisés, encore une fois.

À Cannes, la projection de Okja se finit tout de même sous les applaudissements de la salle, qui semble avoir rapidement oublié le mépris d’origine. Cependant, Okja ne repartira pas avec la Palme d’Or !
« Trop c’est trop ? »
3992 caractères -— 10/10/2021
n°1_Quand le schéma se répète
n°2_"L’auberge Ganne" and the impressionism's birth
n°3_D'un bout à l'autre de l'objectif
Bong Joon-ho, Okja, 2017, scène extraite du film
n°4_America: a single-mandate mook
n°5_« Trop c’est trop ? »
n°6_A still life and a rock album: the meeting
n°7_Le poids des feuilles volantes et des plateaux suspendus
n°8_Morgan Spurlock vs McDonald’s and co : round 2
n°9_Les Livres illisibles : communiquer sans les mots
n°10_Irma Boom and the Renaissance of the book
n°11_Rigueur : maître-mot de la création
n°12_A Clockwork Orange just needed that
n°13_Don’t look up : l’écologie a dépassé les limites
n°14_Instinct & book design
n°15_Un débordement sans débordement 
n°16_Newspaper design : Between efficiency and uniqueness