Celui-ci, je l’ai rencontré par le biais d’un autre, et c’est son nom qui m’a interpellée. De ce que je peux déchiffrer à la vue de son nom et de son apparence, il me paraît pessimiste, notamment sur la vision du monde, de son fonctionnement et de son avenir. N’aurait-il pas ses raisons ? Peut-être est-il plus lucide que moi, ou suis-je dans le déni et le rejet d’une fatale éventualité où l’humain s’auto-détruit ? Ce que je vois jusque-là titille suffisamment mon attention. Je décide de faire connaissance. Enchanté.

Il se présente, en s’ouvrant et se dévoilant petit à petit. Le monde dans
lequel il vit est similaire au mien, mais pas tout à fait. On dirait presque de la science-fiction. Ses mots sont clairs, je suis captivée. Il me parle de son monde, dans lequel l’humain, comme vous et moi, n’est plus au sommet de la chaîne alimentaire et subit la domination d’un être supérieur. Ironique. Cela remet quelque peu en question ma vision des choses. Ai-je envie de faire subir à autrui quelque chose que je ne supporterai pas moi-même ?
J’ai évidemment déjà eu l’occasion de me poser cette question, mais celle-ci résonne différemment quand ma vie et mon existence sont en danger.
Son monde à lui fait basculer la domination humaine — que certain·e·s pensent être un équilibre — sur nos compères les animaux, et place l’humain dans la posture du dominé.

Son histoire me confronte à mon exploitation plus ou moins volontaire et consciente sur le vivant. Cela fait bien des années que j’ai remis en question ma façon de me comporter et de consommer pour limiter au maximum cette exploitation. On s’éloigne petit à petit de l’image de la science-fiction pour se rapprocher d’une réalité réinterprétée et chamboulée. Ne viendrait-il non pas d’une réalité parallèle mais d’un futur proche ? Intéressant. Je décide de faire une pause dans la discussion. J’ai besoin d’y réfléchir. Je glisse le marque-page. À bientôt.

Défaite des maîtres et des possesseurs est un roman de Vincent Message paru en 2016. Ce roman n’est pas du registre de la science-fiction, loin de là, mais dépeint un monde, similaire au nôtre, à l’apparence dystopique. Vincent Message est un romancier engagé, qui s’intéresse aux problématiques liées à l’environnement, à la condition animale et qui remet en cause dans Défaite des maîtres et des possesseurs notre existence en tant qu’être soi-disant supérieur. Il parvient dans son roman à nous bousculer sur notre rapport dominant aux animaux et à ce qu’on leur fait subir. Tout cela sans la présence même d’animaux dans le récit, puisque nous prenons leur place.

Dans le début du roman de Vincent Message, l’humain est dépersonnalisé. On parle d’un personnage sans le qualifier explicitement comme un humain, de la même manière que cet article parle d’un roman. Ce n’est qu’en avançant dans le récit qu’il est écrit explicitement que ce personnage dominé est une humaine et nous explique comment elle et les autres humain·e·s se sont retrouvé·e·s dans cette posture. Pour entrer dans le détail du récit, ce sont des êtres stellaires qui ont envahi la Terre, et décimé·e·s les humains après avoir compris qu’ils et elles ne pourraient pas cohabiter. Seul·e·s certain·e·s humain·e·s sont « gardé·e·s » soit pour être exploité·e·s, soit pour tenir compagnie, soit pour être mangé·e·s. Tiens donc. Au-delà d’être une « inversion » avec le monde que nous connaissons, je vois cela comme une triste punition et une fâcheuse répétition du schéma que nous avons instauré. Le roman à pour ambition de nous faire réfléchir sur la condition animale sans même la présence d’animaux, puisque ce sont nous, les êtres humains, qui se trouvent à leur place.

« Aimer les animaux ce n’est pas moins aimer les hommes ; aimer les hommes ce n’est pas moins aimer les gens de notre espèce. Car si on aime la vie avec une passion folle, alors on peut aimer tous les vivants, reconnaître partout leur souffle, et ce qu’il a de fragile, et sa capacité à se détraquer en peu de temps, et se mettre à haïr, en regard, toutes les violences qui leur sont faites. » [passage extrait du roman.]
Quand le schéma se répète
Vincent Message, Défaite des maîtres et des possesseurs, 2016, détail de la couverture de l’édition Points




4092 caractères — 12/09/2021
[réécrit le 08/11/2021]
n°1_Quand le schéma se répète
n°2_"L’auberge Ganne" and the impressionism's birth
n°3_D'un bout à l'autre de l'objectif
n°4_America: a single-mandate mook
n°5_« Trop c’est trop ? »
n°7_Le poids des feuilles volantes et des plateaux suspendus
n°8_Morgan Spurlock vs McDonald’s and co : round 2
n°9_Les Livres illisibles : communiquer sans les mots
n°6_A still life and a rock album: the meeting
n°10_Irma Boom and the Renaissance of the book
n°11_Rigueur : maître-mot de la création
n°12_A Clockwork Orange just needed that
n°13_Don’t look up : l’écologie a dépassé les limites
n°14_Instinct & book design
n°15_Un débordement sans débordement 
n°16_Newspaper design : Between efficiency and uniqueness